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Les conséquences négatives probables de l’intégration de la Turquie à l’Union Européenne

Par le Dr Haluk GERGER

jeudi 20 janvier 2005, par Maison Populaire de Genève

En Turquie, dans la population, il y a deux attentes largement répandues en ce qui concerne le processus d’intégration à l’UE. D’un côté celle d’un développement économique avec accroissement du niveau de vie et de l’autre la démocratisation du régime. L’UE de son côté renforce ces attentes en faisant des promesses dans ce sens. Mais il y a de sérieuses contradictions par rapport à ces buts et attentes exprimés, qui découlent de la nature structurelle objective des relations Turquie-UE et des politiques de celle-ci concernant la Turquie.

En premier lieu, ces rapports sont des rapports de dépendance. La Turquie est un pays débiteur, alors que l’UE est exportatrice de capitaux en termes net. La Turquie est un pays pauvre, qui utilise une technologie standard et n’a pas encore terminé son processus d’industrialisation, alors que l’UE est composée de pays avancés sous ce rapport. En d’autres termes c’est un rapport qui est place sous le signe de l’« échange inégal » au sens le plus large. Dans un tel cadre d’inégalité structurelle, l’Histoire montre que les pauvres s’appauvrissent encore et que les riches s’enrichissent toujours plus, le faible s’affaiblit et le fort se renforce. la libéralisation du commerce et d’autres types d’activité économique tend à favoriser la partie déjà avantagée. Ceci se voit dans les tendances mondiales. Le fossé entre pays riches et pauvres est passé dans l’espace de 30-40 ans d’un rapport de 1 à 25 à un rapport de 1 à 90 aujourd’hui. L’expérience montre que Karl Marx avait raison, en 1848, quand il disait :

« Pour nous résumer : dans l’état actuel de la société, qu’est-ce donc que le libre-échange ? C’est la liberté du capital. Quand vous aurez fait tomber les quelques entraves nationales qui enchaînent encore la marche du capital, vous n’aurez fait qu’en affranchir entièrement l’action. Tant que vous laissez subsister le rapport du travail salarié au capital, l’échange des marchandises entre elles aura beau se faire dans les conditions les plus favorables, il y aura toujours une classe qui exploitera, et une classe qui sera exploitée. On a véritablement de la peine à comprendre la prétention des libre-échangistes, qui s’imaginent que l’emploi plus avantageux du capital fera disparaître l’antagonisme entre les capitalistes industriels et les travailleurs salariés. Tout au contraire, tout ce qui en résultera, c’est que l’opposition de ces deux classes se dessinera plus nettement encore. […]

Messieurs, ne vous en laissez pas imposer par le mot abstrait de liberté. Liberté de qui ? Ce n’est pas la liberté d’un simple individu, en présence d’un autre individu. C’est la liberté qu’a le capital d’écraser le travailleur. Comment voulez-vous encore sanctionner la libre concurrence par cette idée de liberté quand cette liberté n’est que le produit d’un état de choses basé sur la libre concurrence ?

Nous avons fait voir ce que c’est que la fraternité que le libre-échange fait naître entre les différentes classes d’une seule et même nation. La fraternité que le libre-échange établirait entre les différentes nations de la terre ne serait guère plus fraternelle. Désigner par le nom de fraternité universelle l’exploitation à son état cosmopolite, c’est une idée qui ne pouvait prendre origine que dans le sein de la bourgeoisie. Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître dans l’intérieur d’un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l’univers. […]

On nous dit, par exemple, que le libre-échange ferait naître une division du travail inter¬na¬tionale qui assignerait à chaque pays une production en harmonie avec ses avantages naturels.Vous pensez peut-être, Messieurs, que la production du café et du sucre est la destinée naturelle des Indes occidentales. Deux siècles auparavant, la nature, qui ne se mêle guère du commerce, n’y avait mis ni café, ni canne à sucre. […]

Si les libre-échangistes ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devons pas en être étonnés, puisque ces mêmes messieurs ne veu¬lent pas non plus comprendre comment, dans l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir aux dépens d’une autre classe. Ne croyez pas, messieurs, qu’en faisant la critique de la liberté commerciale nous ayons l’intention de défendre le système protectionniste. On se dit ennemi du régime constitutionnel, on ne se dit pas pour cela ami de l’ancien régime. »

Plus récemment et concrètement Julius Nyerere de Tanzanie a dit en 1971 : « Quand nous préparions notre premier plan quinquennal, le prix de notre sisal était de 148 livres sterling d’avant la dévaluation par tonne. Nous pensions que ce prix risquait de ne pas se maintenir, nous avons donc basé nos plans sur un prix moyen de 95 livres par tonne. Il est descendu à moins de 70 livres. On ne peut pas gagner. En 1963, nous devions produire 5 tonnes de sisal pour acheter un tracteur, en 1970 il en fallait 10 tonnes pour acheter le même tracteur. »

Deuxièmement, c’est un fait établi, qu’à travers les dits « Critères de Copenhague » l’UE impose à la Turquie un programme économique identique à celui du FMI, comprenant des privatisations, des réductions des dépenses publiques, des coupes dans les services sociaux, une baisse des salaires, plus d’années de travail avant la retraite, etc. Le programme de l’UE est peut-être encore plus étendu et imposé de manière plus draconienne. Il est évident que ceci contredit et contrecarre les propagandistes de l’UE. Non seulement ce programme s’oppose directement aux aspirations à une amélioration des conditions d’existences des masses travailleuses, mais il engendre des dynamiques antidémocratiques en Turquie, car ce type de politiques sociales et économiques s’accompagnent inévitablement d’une oppression accrue, comme l’expérience mondiale l’atteste. Des mesures du type FMI ne peuvent être mises en œuvre que par la répression. Le mécontentement social inévitable et l’opposition de masse anticipée est contrée par les classes dominantes par des mesures préméditées d’oppression antidémocratiques. Le fait que l’UE soutient de manière générale les prisons à cellule d’isolement en Turquie n’est pas une simple coïncidence, ni ne peut être expliquée par simple une bévue des bureaucrates européens. Ainsi, contrairement aux attentes et aux aspirations, le programme à la FMI imposé en Turquie par l’UE brisera forcément non seulement les rêves de développement économique, mais aussi les espoirs de démocratisation du régime.

Troisièmement, pratiquement tous les fonctionnaires de haut niveau des organes décisionnaires de l’UE, comme aussi les politiciens et les dirigeants de ses Etats membres, expliquent que la Turquie est importante pour l’UE, en particulier, sinon exclusivement, pour son rôle stratégique. Ceci est une manière diplomatique d’exprimer l’espoir, qu’en sus d’une main d’œuvre bon marché, la Turquie fournira des troupes à bon compte également. Nous connaissons tous le débat autour de la sinistre "importance stratégique" de la Turquie et de son rôle en matière de "sécurité" en ce qui concerne le Moyen Orient. Cette "armée de réserve" agira à l’avenir comme homme de main de l’impérialisme européen. Il va sans dire qu’un tel rôle militariste, dans les régions sensibles dont la Turquie est voisine, risque d’avoir des conséquences incalculables au péril de la démocratisation et de la prospérité économique de la Turquie. Aujourd’hui déjà, les militaires turcs présentent une "liste d’achats" portant sur des dizaines de millions de dollars… fardeau qui viendra peser sur les classes laborieuses. Ce n’est pas seulement le pain quotidien des travailleurs-euses qui sera sacrifié, mais aussi des services sociaux vitaux et la prospérité économique pour les générations futures. Comme un tel rôle militariste accroît, dans la durée, le poids de l’establishement militaire, les dépenses militaires croîtront au détriment du développement et au prix de dislocations sociales et économiques.

Ce n’est pas tout : la démocratisation sera l’une des autres victimes d’un appareil militaire encore plus envahissant qui gagnera de l’influence avec les nouvelles missions qui lui seront confiées. Le militarisme déjà omniprésent en Turquie, comme idéologie et valeur culturelle, sera encore renforcé, détruisant ce qui reste de dynamique démocratique.

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1Karl Marx, Discours sur la question du libre échange, 1848


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