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Murad AKINCILAR N°A12

mardi 9 février 2010, par Maison Populaire de Genève


20.1.2010

Mes cher-ères ami-es,

Quoique de façon lacunaire, je reçois de vos nouvelles. Je suis curieux de savoir ce que vous devenez et je dois avouer que vous me manquez ; contrairement à ce que je croyais l’être, je ne suis apparemment pas un pain de four dur (un vrai dur ).

De mon point de vue, je n’étais pas un étranger parmi vous. Nous nous sommes tous ensemble bien tenus droit pour une égalité sans mesure, sans frontière, une vie juste et une justice sociale qui ne restent pas sur le papier. Ce qui nous rassemblait n’était pas une rencontre folklorique, un refuge ou l’immigration. Il s’agissait bien plutôt d’un récit universel, c’est tout.

A la façon des notes prises dans un journal intime, je vais essayer de vous résumer les derniers événements.

La dernière semaine du mois de juin, un Congrès s’est tenu dans le but de créer un parti unitaire.* Parmi les participants figuraient les groupes écologistes et féministes, onze partis politiques et groupes de gauche, la gauche musulmane, le « mouvement de conscience » qui s’approprie l’héritage de Hrant Dink** dont nous commémorons la troisième année de son assassinat et les militants kurdes engagés dans les structures légales démocratiques. Lors du Congrès, 224 délégués dont 7 députés ont débattu pendant deux jours. Lorsque j’ai lu la déclaration finale, nous l’avons approuvée avec des applaudissements remplis d’espoir. Nous disions la crise sociale s’approfondit et dans le cas où les précaires n’arrivent pas à rendre la facture de cette crise à leurs vrais responsables, ils vont se diviser entre eux et se prendre réciproquement comme cible. Il faut réconcilier les masses précarisées qui se frictionnent entre le nationalisme et les divergences ethniques ; s’il n’y a pas la paix dans les bidonvilles, le racisme augmentera.

Au début du mois de juillet 2009, un camp syndical intitulé la « Rencontre internationale de Jeunes Représentants des Travailleurs » a eu lieu au bord de la Méditerranée, dans la première cité élue « slow city », rencontre à laquelle ont participé des travailleur-euses et syndicalistes d’Argentine, des Pays-Bas, de l’Allemagne, de la Colombie, du Chili etc. Le soir, les participants au camp chantaient autour du feu. Quant à moi, j’ai pendant deux jours animé l’atelier « la pédagogie syndicale ». Les jeunes syndicalistes souhaitaient avoir un syndicat auquel ils peuvent se rendre en dehors du fonctionnement routinier, un lieu où ils peuvent se sentir chez eux. Depuis l’arrivée au pouvoir, en 2002, du gouvernement actuel, 203 milles travailleurs se sont désyndicalisés. En automne, la deuxième vague sous-jacente de la crise arrive, après l’été romantique, l’automne chaud, les syndicats doivent se préparer à l’hiver difficile. Le nombre de chômeurs a dépassé les 6 millions.

Le soir, nous nous éloignons du camp à deux, dans une soirée splendide du mois de juillet, nous regardons devant les remparts d’Agora, dans la ville antique d’Assos, près de la Troie, la méditérannée et les phosphorescences de la mer.

Les jeunes académiciens et les intellectuels progressistes ont organisé au début du mois de septembre un Congrès scientifique alternatif à Smyrne. Le sujet était les sciences sociales et la vie sociale après le coup d’Etat. J’ai lors de ce congrès fait une présentation (dans le cas où il y aurait une confrontation avec le passé, les années qui suivirent le coup d’Etat) sur la période allant de 1991 à 1997, période marquée par la guerre de basse intensité, le mouvement ouvrier, les exécutions sommaires et disparitions de plus de 17 milles personnes.*** Il n’y a eu aucune poursuite au sujet des massacres commis, des grèves réprimées et des syndicalistes tués. Pourrions-nous parler d’une réhabilitation lorsque les victimes sont réduites au silence ou d’une démocratie sans la gauche ?

Durant l’été, un groupe composé majoritairement de syndicalistes, nous avons publié une revue, laquelle contenait un dossier au sujet de « la crise et les travailleurs ».**** Le parti unitaire, le Mouvement Unitaire pour la Démocratie, a rendu public une déclaration exigeant une paix équitable et juste.

Nous avons, un groupe de 60 économistes, publié un dictionnaire des concepts économiques et sociaux, ce dictionnaire est actuellement utilisé dans les formations syndicales.*****

Pour le journal humoristique, Sarlo, j’ai écrit mon article humoristique. « Nous avons beaucoup rigolé cet été, voyons quand nous pleurerons » me disait une travailleuse du Tekel (régie du tabac).******

Fin septembre, la réunion prépérative du Forum Social Européen et le Forum Social de Mésopotamie ont eu lieu. De 32 pays, une délégation de 2050 personnes ont participé à cettre rencontre. Un panel syndical a eu lieu avec les présidents de certaines Confédérations syndicales et les représentants des sections locales. Le sujet qui nous occupait était la préparation à la crise, les problèmes organisationnels (au Moyen-Orient).*******

Le Forum Social se moyen-orientalise ; les réunions commencent tard et toute la soirée nous buvons du thé et discutons souvent de l’anti-impérialisme. Nous avons également discuté de la défense de la représentante d’Unia, licenciée par Manor. La délégation palestinienne est la prunelle de nos yeux.

Entre temps, nous nous préparons pour la rencontre du FMI, nous essayons d’organiser un Congrès Economique Socialiste.

Une belle matinée du mois de septembre, je suis arrêté. Mon arrestation n’a bien évidemment aucun rapport avec ce que je vous ai expliqué ci-dessus ! Je suis arrêté car je suis un « terroriste ». Les 22 syndicalistes dont la majorité sont des femmes se sont fait arrêtés au motif qu’ils seraient membre d’une organisation terroriste. Les travailleurs et dirigeants syndicaux des secteurs tels que le textile et la construction navale sont également membres d’une organisation terroriste. Leur arrestation n’a aucun rapport avec leur identitié politique ni avec leurs activités syndicales ! Qu’il n’y ait pas de malentendu...

Dominique Strauss Kahn apprend ce qu’est l’hospitalité anti-impérialiste. Nous, nous sommes dans la partie de la prison réservée à l’isolemement cellulaire. Nous sommes sortis des cellules d’interrogatoire où ils nous ont gardé quatre jours. Mes yeux se ferment. Un groupe anti-FMI se fait arrêter.********

Le dernier jour du Ramadan, nous avons organisé avec les députés, les intellectuels de gauche et les musulmans un repas. Nous y disions, nous refusons de nous positionner entre les nationalistes-militaristes et les néo-libéraux théocratiques. Le Projet Atla-tist du Grand Moyen-Orient retire son soutien de la bureaucratie militariste et du modèle de l’Etat-nation. La bourgeoisie de l’« islam modéré » crée l’Etat policier de la mondialisation. En 1999, Seattle était la confirmation de la faillite de l’accumulation du capital néo-libéral qui va de pair avec le néo-conservatisme et le militarisme de la sécurité nationale. La vague libertaire à la fin des années 1989 avait donné l’impulsion aux idéaux du bien public et de l’égalité. Or les acquis sociaux sont bafoués. Dans les pays comme la Turquie, le Liban et l’Egypte, l’armée s’affablit et les politiques de collectivisation des coûts (dans les contextes de crise) sont mis en avant par des cadres islamistes modérés et néo-libéraux.

Si nous regardons l’Argentine de 2001, la guerre de l’eau et du gaz entre 2003 et 2005 en Bolivie, la destruction en 2006 du Liban et les deux tentatives de coups d’Etat au Vénézuéla, nous constaterons que les politiques putschistes afin d’amener au pouvoir les régimes néolibéraux répressifs n’ont pas de viabilité. Car nous voyons comme dans les exemples de Seattle, Gênes, Evian et Honduras que les résistances sont pacifiées par le capital qui produit des méthodes du consentement, de l’adhésion sur la base des appareils complexes/manipulatifs et avec l’intervention de multiples acteurs. Les régimes néolibéraux, de tendance raciste dont les pratiques de l’Etat policier sont sophistiquées, se renforcent tant dans les pays du centre que dans les pays de la périphérie. Les néo-con réformés prévoient au Moyen-Orient de fermer les points de conflit en Irak, en Palestine et au Liban ; de créer un nouvel équilibre en Afganistan et d’ouvrir un nouveau front au Yémen et dans la Golf persique. USA ne souhaitent pas une vraie paix en Turquie, ils veulent plutôt la pacification afin que la Turquie joue un rôle plus important en Irak et en Afganistan. Dès le mois de décembre, Obama souhaite que la Turquie s’implique plus en Afganistan.

Les thèses libérales ne peuvent plus influencer la gauche. L’époque de la gauche institutionnelle et tradionnelle est close. Le début du XXIème siècle est au seuil de donner lieu à une synthèse qui ressemble à celle des années 1871 à 1913, c’est-à-dire les critères de divergences historiques perdent de leur rigueur entre les Verts, Anarchistes, Socialistes, Anti-impérialistes, Altermondialistes et Communistes. Les nouvelles alliances de gauche, les fronts de gauche, peut-être pour donner lieu par la suite à de nouvelles divisions, gagnent d’importance et de sens, cela sur la base des nouveaux dénominateurs communs telle que la critique radicale de l’Etat suite à l’effondrement de l’Etat providence et un nouveau programme altermondialiste, basé sur la paix entre les peuples et les mouvements ouvriers.

Les 22 syndicalistes arrêtés en juin sont libérés à la fin du mois de novembre alors qu’au mois de décembre 10 dirigeants du syndicat des transports sont arrêtés. D’un autre côté, les responsables de l’assassinat de 453 syndicalistes ou de militants syndicaux depuis 1993 ou les responsables de l’assassinat des syndicalistes entre 1980 et 1993 n’ont pas été traduits devant la justice.

La nouvelle année a débuté avec la grève des travailleurs de la construction navale, des hôpitaux, du secteur des biens mobiliers, de la fabrique de biscuits, des industries de carbon, du cuir, de l’automobile, E-Kart, du textile, de la construction (TOKI), les travailleurs de Sabah et ATV. Quant à la grève de Sinter, elle a rempli sa première année le 15 décembre (Philippe est au courant). Le 25 novembre, une grève générale a eu lieu, grève à laquelle plus de deux millions de travailleurs ont participé. Les licenciements interviennent dans les chemins de fer. Le 16 décembre, 12 milles travailleurs de Tekel (régie du tabac) ont lancé leur résistance à Ankara. Le 20 janvier 2010, la résistance continue, ils ont entamé depuis deux jours une grève de la faim contre le régime des privatisations. Le 8 janvier, 40 travailleurs de Tekel sont mis en garde à vue. D’après les journaux, les 6 derniers mois, plus de 40 tentatives de lynchage ont été entregistrés, pourtant aucune arrestation. Les mères des disparus (les Mères de Samedi) sont dans leur 252ème manifestation hebdomadaire.

Je suis dans la prison, je reçois des cartes de soutien étant donné que je me trouve parmi les 37 écrivains détenus. Quant aux syndicats, ils auraient organisé des conférences de presse. 898 travailleurs pompiers employés par les sous-traitants sont entrés en grève. Le 10 décembre, à Bursa, 10 mineurs sont décédés dans l’explosion de la mine : 7 négligences sont entregistrées or aucune poursuite judiciaire n’est à l’ordre du jour contre le patron.

Le parti représentant la politique légale démocratique kurde, qui a 21 députés élus, est interdit. Par la suite, 37 syndics et travailleurs de municipalités kurdes sont arrêtés.

Depuis ma cellule, je regarde l’extérieur, le mur de la prison…Les pierres de ce mur viennent du via Appia où les spartakistes et d’autres furent crucifiés. Devant ce mur-là, le mur des fédérés, en 1871, les Communards furent fusillés. Devant ce mur-là, à Varsovie, les résistants furent attachés et exécutés. Une partie de ce mur-là est entre le Mexico et Texas. Une autre partie passe par Melilla. Ce mur-là, il a le même béton que celui du mur des territoires occupés en Palestine. Ce mur est celui de la cellule de Louise Michel, de Rosa, le mur en bas duquel est tombé Durutti, le mur de la cellule humide dans laquelle Gramsci a écrit ses livres. Quant à moi, j’envoie de l’autre côté de ce mur mes salutations à travers les barres de ma cellule, mes salutations aux hommes et femmes dont je ne connais pas le nom. Je dédie la chanson asfur********* à Marwan Barghouti, à Ahmad Saadat. J’envoie nos chansons avec les oiseaux qui s’arrêtent sur les barres en fer aux syndicalistes détenus en Iran, au Magrèbe et en Amérique latine.

Pour tout-e-s les travailleur-euses en grève, je vous dis : vous êtes mes frères et sœurs. Je souhaite faire entendre cette voix des bidonvilles de Bogota à Caire, des quartiers populaires en Europe aux ruelles étroites de Gazza, à ceux et celles qui me connaissent ou ne me connaissent pas, leurs murs ne sont qu’une poussée de sable pour nous.**********

Murad numéro sa cellule A12


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