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Turquie : un modèle pour le monde arabe ?

dimanche 27 février 2011, par Maison Populaire de Genève

Depuis début de l’année 2011, un vent de liberté souffle sur les pays arabes. Des pouvoirs totalitaires tombent l’un après l’autre (Tunisie, Egypte..,). La grande préoccupation de l’Occident consiste actuellement au remplacement de ces régimes archaïques. Dans ce cadre, la Turquie, avec à sa tête le parti islamiste de Recep Tayyip Erdogan, est fréquemment donnée comme exemple ces dernières semaines. Voyons de près si le régime turc peut constituer un exemple pour le monde arabe.

Un Etat bâti sur des génocides

Les fondateurs de la Turquie dite « moderne » ont bâti ce pays sur le génocide des peuples et de leurs cultures. Leurs successeurs ont poursuivi la même sale besogne. En voici quelques exemples :

· Le génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens (1915-1917) : 1,5 million d’Arméniens ont été massacrés par l’armée turque entre 1915 et 1917

· Le massacre des Kurdes, Alévis et Kizilbachs de Koçkiri (1919-1921)

· L’expulsion brutale de 1.2 million Grecs (1923-1924)

· massacre des Kurdes et des Assyriens après la révolte de Sheikh Said (1925-1928)

· Les massacres des Kurdes, Alévis et Kizilbachs de Dersim : 40’000 morts et 12’000 personnes déplacées (1935-1938)

· Les lois iniques et les déportations d’Arméniens, de Juifs, de Grecs (1942)

· Les pogroms d’Istanbul et d’Izmir contre les Grecs, les Arméniens et les Juifs (1955)

· La guerre contre les Kurdes de 1984 à ce jour, plus de 40’000 Kurdes ont été tués.

· La destruction de 3848 villages kurdes et les déplacements forcés de trois à quatre millions de paysans kurdes entre 1989 et 1998. Le but des auteurs de ces crimes contre l’humanité était de « turquiser » les terres de ces peuples, en exterminant d’abord les non-musulmans, puis les musulmans non-turcs et/ou, à défaut, de les assimiler.

Actuellement, on ne compte que 76.000 Arméniens, 15’000 Grecs et 2’000 Assyriens vivant en Turquie. Quant aux Kurdes, s’ils constituent le plus grand peuple du monde sans Etat (plus de 20 millions en Turquie), ils sont toujours opprimés et menacés dans leur existence.

En effet, la politique d’assimilation des Kurdes, par les gouvernements successifs turcs, a rencontré de fortes résistances. Aucune solution, autre que militaire, n’a jamais été réellement mise en œuvre pour sortir de l’impasse : la guérilla du PKK s’exerce depuis 1984 et la lutte antiterroriste a déjà coûté 250 milliards d’euros et 42 000 vies humaines, 4 000 villages brûlés, des millions de déplacés et une obsession sécuritaire qui maintient la société turque dans un état de « 

terreur ». Et le PKK n’est que le vingt-neuvième mouvement d’insurrection lancé contre la Turquie en moins d’un siècle… Le gouvernement d’Erdogan ne fait pas exception à la règle. Pourtant, ce dernier avait lancé en grande pompe, en 2009, une démarche (y compris auprès du PKK) pour chercher une solution à la question kurde. Peu de temps après, les autorités turques ont lancé une opération de grande envergure pour incarcérer près de deux mille dirigeants, élus (y compris des maires) du parti pour une société démocratique (DTP, pro-kurde) et des organisations de la société civile telles que l’Association des droits de l’homme. Le discours tenu par M. Erdogan, à la veille des élections législatives (prévues en juin 2011), est guère différent que le parti d’Action nationale (fasciste) turc.

Violations des droits de l’homme

Le bilan des violations massives des droits de l’homme est effrayant en Turquie :

· Durant les 20 dernières années, 20 000 (vingt-mille) opposant-e-s ont été victimes d’exécutions sommaires et extrajudiciaires, plus de 1200 autres de disparitions forcées. 428 enfants ont été tués par les forces de l’ordre turques et/ou par l’explosion des mines anti-personnelles.

· Durant ces 8 dernières années (règne du parti de M. Erdogan : de 2002 à fin 2010) :

· 8 710 personnes ont été torturées ;

· 87 513 personnes ont été placées en garde à vue, dont 11 034 ont été inculpées et incarcérées ;

· 232 partis et associations ont été interdits ou ont fait l’objet d’une procédure d’interdiction ;

· 627 organisations, parti politiques, agences de presse et associations culturelles dont les sièges ont été perquisitionnés ou saccagés ;

· 671 publications interdites ou censurées ;

· 200 journalistes ont été incarcérés ;

· 2 498 personnes poursuivies en raison de leurs opinions ont été condamnées à un total de 6155 années de prison et 108 milliards TL d’amende ;

· 980 étudiants ont été interdits de cours de 1 semaine à 1 an et 104 autres ont été expulsés pour avoir revendiqué l’enseignement dans leur langue maternelle.

· Selon les chiffres officiels, les prisons turques comptent actuellement 6217 prisonniers politiques et 2113 enfants. Laïcité en Turquie

Selon les données du Ministère des affaires religieuses (Diyanet Isleri Baskanligi), ce dernier gère 82000 mosquées et emploie 94207 fonctionnaires. Rattaché au Cabinet du Premier Ministre, son budget s’élève à 2,7 milliards Livres turques [1]. Ce qui équivaut aux budgets cumulés de huit ministères. A titre de comparaison, la Turquie compte 67000 écoles publiques et 1200 hôpitaux.

Contrairement à la pluralité de son titre, les activités du Ministère des affaires religieuses sont destinées exclusivement aux musulmans sunnites. Les minorités religieuses, reconnues pourtant par le traité de Lausanne (Chrétiens et Juifs), ne bénéficient pas du budget dudit ministère. Il en est de même pour les Alévis qui constituent pourtant près de 20 % de la population de la Turquie. Pire, les biens (immobiliers) des minorités religieuses non musulmanes, confisqués il y a plusieurs décennies, ne sont toujours pas restitués. La politique poursuivie est de forcer les minorités religieuses à se convertir au sunnisme.

De plus, ce ministère, au travers de sa fondation (Türkiye Diyanet Isleri Vakfi) créée en 1976, occupe une place importante dans l’économie turque avec un millier de filiales et des trillions de capitaux. Il est actif dans les domaines suivants : construction, publications, alimentation, assurances, textile, enseignement, chimie et finances.

Dette extérieure, chômage et pauvreté

L’économie turque est encore et toujours sous le coup des politiques néolibérales dictées par des institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale). La dette extérieure de la Turquie s’élève actuellement à 254 milliards de dollars américains dont 124 milliards ont été contractés par le gouvernement d’Edogan ces huit dernières années.

Suite à l’application des politiques néolibérales, pratiquement toutes les entreprises étatiques ont été privatisées et des centaines de milliers de personnes ont été licenciées. Selon les chiffres officiels de 2009, il y a trois millions de chômeurs en Turquie. Ce chiffre ne comprend pas les sans -emplois dans les zones rurales et les bidonvilles (estimés également à trois millions) ainsi que les femmes au foyer (12 millions). Ainsi, la Turquie compte 23 millions d’actifs (y compris à temps partiel) sur une population de 73 millions.

Toujours selon les chiffres officiels, plus de 12 millions de personnes (18,8 % de la population) vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. Selon une recherche du syndicat DISK, un salaire mensuel de trois mille livres turques est nécessaire pour un ménage de quatre personnes. Or, le salaire minimum fixé par le gouvernement turc au début de cette année est de 796.50 livres turques.

Relations Turquie - Israël

Outre ses relations économiques, la Turquie entretient une collaboration étroite avec Israël sur le plan militaire. Elle est basée sur l’Accord de coopération en matière de défense, signé en 1994. Dans ce cadre, la Turquie a récemment conclu avec Israël l’achat d’armement et la modernisation de sa flotte d’avions de combat pour un montant de 2,5 milliards de dollars américains. En plus de ces achats, Israël utilise l’espace aérien turc et la base aérienne de Konya pour la formation de ses soldats.

Conclusion

Membre de l’OCDE, de l’OSCE, du Conseil de l’Europe et du G20, la Turquie « moderne » est un allié stratégique de l’Occident. De plus, elle est membre de l’OTAN, possédant la deuxième plus grande armée (en effectif) de ce pacte militaire impérialiste. A ce titre, elle joue le rôle de gendarme pour les intérêts occidentaux.

Avec la Turquie et Israël, l’Egypte constitue une pièce maitresse de la politique occidentale dans la région. En effet, depuis l’accord de paix entre Israël et l’Egypte en 1979, ce dernier a reçu (depuis cette date) des Etats-Unis 64 milliards de dollars d’aide dont 40 pour l’équipement militaire. La perte du contrôle de ce pays pour l’Occident aura des conséquences désastreuses. C’est ce qui explique certainement l’éloge occidentale à Erdogan (qualifié pourtant d’inculte dans des câbles diplomatiques américains rendus publics par Wikileaks).

Ironie du sort, l’Occident propose comme modèle aux anciennes colonies de l’Empire ottoman un régime qui rêve de mener une politique néo-ottomane dans la région.

La tentative d’imposer le modèle turc aux peuples arabes signifie que ces derniers sont condamnés à vivre sous la répression, dans la pauvreté et le chômage. Cela signifie également que les peuples arabes n’ont pas le droit à vivre dans la démocratie et jouir des libertés fondamentales.

Si la Turquie constitue vraiment un modèle, pourquoi l’Union européenne la laisse-t-elle poireauter à sa porte depuis 1987 ?

A l’instar d’autres peuples, les peuples arabes aspirent à la liberté et la démocratie. Ils n’ont pas besoin de modèle ; ils sauront trouver le régime qui leur convient pourvu qu’on les laisse en paix.


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